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Des climatisateurs aux accélérateurs de particules

19 avril 2023 L'ENISE dans le monde
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Paul Bélard, GM 1970, qui a passé toute sa carrière aux Etats-Unis, nous relate tous les 2 mois, le déroulement de sa vie professionnelle.

 

Ses récits nous indiquent précisément les aléas de la vie américaine, nous qui sommes dans un pays où la vie est, généralement, plus douce. 

 

Cette fois, nous sommes en 1984 et il travaille dans de grands projets mais souhaite une vie professionnelle plus calme 

"Mon nouveau job se trouve sur Park Avenue, à quelques enjambées de Union Square vers le sud de la ville.  C’est une adresse prestigieuse, mais difficile à atteindre par les transports en commun. Peu de métros et de bus traversent Manhattan en travers, tout est dans la direction de la longueur de l’île.

 

De Penn Station au bureau, cela prend une bonne vingtaine de minutes de marche, plaisantes sous le soleil, moins sous la pluie ou la neige. Ajoutant à cela l’heure et dix minutes que le trajet de ma maison à Penn prend en moyenne, je m’en tire encore avec trois heures de « commute » par jour. Mais c’est le prix à payer pour habiter dans une banlieue agréable.

 

Après une demi-journée passée à remplir de la paperasse, un projet m'est immédiatement confié. C’est avec cette entreprise que mon expérience professionnelle prend une dimension inespérée. Je deviens un expert en climatisation et réfrigération, la première permettant de réguler les conditions climatiques à l’intérieur d’un espace, la seconde de créer du froid. 

Mon premier projet concerne la climatisation de la nouvelle tour de contrôle à l’aéroport John F. Kennedy à New York. Je dois me refamiliariser rapidement avec le diagramme psychométrique. Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas utilisé des données telles que l’humidité relative, l’humidité absolue, les températures sèches, humides et de rosée, condensation et enthalpie.

 

L’aide de certains de mes nouveaux collègues m’a été précieuse.  

Ensuite, c’est la climatisation d’une prison haute sécurité dans la banlieue de New York que je dois installer. Cette ironie ne m’échappe pas : des prisonniers violents vont bénéficier d’un confort que mes beaux-parents n’ont même pas. En fait, les maisons particulières qui ne sont pas climatisées sont légion.

 

Je pose la question au directeur de la prison. Il répond qu’il ne veut pas d’émeutes, souvent provoquées quand les températures deviennent trop élevées, et les tempéraments aussi. En fait, il veut même que la température de l’air conditionné soit deux degrés au-dessus des normes fixées par le département de l’énergie. Je me demande s’il va aussi leur filer des cornets de glaces pendant les périodes de canicule ! 

Un autre projet intéressant est la climatisation de la gare d’Atlantic City et du nouveau « Convention Center » qui va être construit à l’ombre des casinos qui y poussent comme des champignons.

 

Après Las Vegas et Reno, Nevada, c’est la ville qui compte le plus de casinos. A la fin de la construction de la gare, j’ai été particulièrement fier de la visiter et de ressentir que l’intérieur était confortable avec les deux conduites cylindriques sous le toit qui projetaient un air plaisant sur la peau. Ville intéressante, Atlantic City. Un long « board walk » qui sépare la plage des premières constructions, en majorité des hôtels et des casinos.

 

Très rapidement, à quelques blocs, c’est un ramassis de vieilles maisons, beaucoup saccagées, de magasins abandonnés avec leurs vitrines couvertes de contreplaqué, d’individus qu’il ne vaut mieux pas rencontrer la nuit.

 

Comme toutes les villes en Amérique, et d’ailleurs dans bien des pays, le nôtre y compris, il y a trop d’endroits où il ne fait pas bon s’aventurer. Plutôt déprimant ! Ici, la richesse des casinos ne s’éparpille pas dans la ville. 

 

Beaucoup de projets concernent les écoles de Manhattan, Queens, Brooklyn, et Staten Island, les subdivisions qui composent New York City. Elles sont sous l’égide d’un « School Board », une organisation qui supervise les budgets, les projets, l’entretien, le sujet des cours, les livres, et j’en passe.

 

Il n’y a pas d’éducation nationale aux USA. Chaque état à son « Board ». Il n’est pas nécessairement indépendant. Le gouverneur et quelques maires ne se privent pas de s’immiscer. En Floride, en ce moment même, le gouverneur a décidé que l’esclavage et le massacre des Indiens ne feraient pas partie de l’histoire de l’état enseignée dans les écoles. Il censure également certains livres. Il doit avoir un modèle dans l’Allemagne des années trente !  

Revenons à l’état de New York. Je ne sais pas s’il y a une agence où les fonctionnaires gratte-papiers prolifèrent comme des mauvaises herbes. Des milliers d’employés y travaillent. Rien que dans la ville de New York, plus d’un million d’élèves sont scolarisés dans environ 1800 écoles.  Un groupe dans cette agence est composé de techniciens dont la fonction est de vérifier tous les dessins et documents qui leur sont soumis.  Rien d’anormal à cette activité, mais s’ils ne trouvent rien à redire, leur patron estime qu’ils n’ont pas effectué leur travail.

 

Alors, bonnes âmes que nous étions, on plaçait dans ces dessins des fautes intentionnelles, plus ou moins faciles à déceler, pour qu’ils puissent prouver à leur boss qu’ils avaient bien effectué leur travail de vérificateur. Ces erreurs n’étaient jamais graves ; il n’était pas question de faire rayer la compagnie de la liste des consultants approuvés par le « Board » pour incompétence. Quelques fautes d’orthographe par-ci, par là ; des boulettes dans les nomenclatures, etc…  On prenait des paris sur les fautes qu’ils allaient découvrir et celles qui leur échapperaient. Oui, je sais, on s’amuse comme on peut !

 

Un des projets les plus techniques de ma carrière d’ingénieur est le suivant. En fait, ce sera le second. Je suis envoyé à Newport News, en Virginie, pour assister une équipe de scientifiques qui conçoit un nouvel accélérateur d’électrons financé par le Département de l’Energie. Coïncidence, le projet le plus technologiquement en pointe qu’il me sera donné de diriger quelques années plus tard sera aussi commandité en partie par le même département du gouvernement américain. 

 

Celui-ci débute en 1984. Il se nomme initialement CEBAF, « Continuous Electron Beam Accelerator Facility », soit Installation d'un accélérateur d’électrons à faisceau continu. Le nom a été changé pour celui de « Thomas Jefferson National Accelerator Facility » en 1996. Ce n’est pas un des plus grands qui existent, les deux parties linéaires mesurent chacune 1,4 kilomètre de long. Pour comparaison, le CERN a une circonférence de 27 kilomètres. 

 

Cet accélérateur utilise de l'hélium liquide pour refroidir le niobium, le métal des tubes dans lesquels les électrons révolutionnent, à environ 4 degrés Kelvin, pratiquement -270 degrés Celsius. Une fois refroidi à cette température, le niobium devient supraconducteur, supprimant la résistance électrique et permettant le transfert d'énergie le plus efficace pour accélérer les particules. Pour y parvenir, cet accélérateur abrite le plus grand réfrigérateur à hélium liquide au monde et a été l'une des premières implémentations à grande échelle de cette technologie « Superconducting Radio Frequency » (SRF). 

Bon, à ce niveau, tout cela me dépasse un peu ; ce travail était bien sûr réservé aux experts scientifiques. Le mien était de fournir la première phase de conditionnement du réfrigérateur de l’hélium. Lorsque du froid est produit, la chaleur générée par l’expansion des gaz réfrigérants doit être bien sûr éliminée. 

 

Plusieurs solutions sont envisagées. Parmi elles, la création d’un lac sur le site. C’est une possibilité puisque l’accélérateur est plusieurs mètres sous terre. Mais le site n’est pas énorme et calculer le volume d’eau nécessaire pour éliminer la chaleur rejetée par le réfrigérateur d’hélium et quelle sera l’augmentation de la température de l’eau, compte tenu de l’évaporation et les conditions météorologiques n’est pas un calcul à la portée de tous. 

 

Le consensus se porte finalement sur une technologie prouvée ; quatre tours de refroidissement situées aux extrémités des deux parties rectilignes de l’accélérateur. C’est une technique que je maîtrise. L’eau qui servira à conserver l’hélium liquide viendra s’écouler sur les surfaces de transfert de chaleur des tours de refroidissement. Au fur et à mesure que l'air ambiant sera introduit dans les tours, l'eau sera refroidie.

 

Les semaines passées sur ce projet, au contact d’esprits les plus intelligents du pays à l'avant-garde de la science, ont été une vraie source d’enseignement et de plaisir.

Malgré l’intérêt extrêmement positif des projets, beaucoup sont stressants, les heures longues. Ma santé en pâtit.  En plus, je me sens toujours dans une situation précaire. Mon emploi est lié à la présence de contrats.

 

Voir certains de mes collègues mis à pied lorsque la compagnie traverse une période de vaches maigres ne m’inspire pas confiance. Cela ne m’est pas encore arrivé, mais pour combien de temps ? Pour cette raison, mon CV navigue constamment dans plusieurs agences d’emplois. 
 
Un jour, par l’intermédiaire d’une de ces agences, je suis convoqué par une compagnie nationale qui n’a pas mis un seul de ses employés à la porte pendant la centaine d’années de son existence. C’est pour moi un argument de poids, quasiment incontournable. J’en ai assez de vivre de mois en mois. Il est temps que je trouve une situation stable, qui me donne le temps d’amasser une retraite convenable, ce que je n’ai pas fait jusqu’à présent.  

 

Souvent, l’argent mis de côté pendant mes périodes de travail servait à payer l’assurance maladie normalement à la charge de l’employeur en attendant de trouver un nouveau job. La note mensuelle était sévère. Et là encore, dans le cas d’un nouvel emploi, la nouvelle assurance ne prenait effet qu’après les trois mois d’essai.
 
Bien que le salaire proposé soit inférieur à celui que je touche, je donne illico ma démission.

 

De soixante à soixante-dix heures stressantes par semaine, je passe à trente-cinq heures plutôt paisibles. J’ai l’impression d’être au club Méditerranée !  Les détails sur cette nouvelle étape de ma vie professionnelle américaine viendront plus tard". 
 




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